•  

    Je ne supporte pas de la voir ainsi. J'aime ma femme, comme j'ai toujours aimé les beaux objets de ma vie. C'est ainsi. En propriétaire j'ai vécu, en propriétaire je mourrai, sans états d'âmes ni goût pour la sentimentalité, sans remords aucun d'avoir ainsi accumulé les biens, conquis les âmes et les êtres comme on acquiert un tableau de prix. Les oeuvres d'art ont une âme. Peut-être est-ce parce que je sais qu'on ne peut les réduire à une simple vie minérale, aux éléments sans vie qui les composent, que je n'ai jamais éprouvé la moindre honte à considérer Anna comme la plus belle de toutes, elle qui, quarante ans durant, a egayé de sa beauté ciselée et de sa tendresse digne les pièces de mon royaume

    (...)

    Vivre par procuration : faire naître les chefs, en être le fossoyeur, de la ripaille extraire des mots, des phrases, des symphonies de langage, et accoucher les repas de leur beauté fulgurante ; être un Maître, être un Guide, être une Divinité ; toucher de l'esprit des shpères inaccessibles, pénétrer, en tapinois, dans les labyrinthes de l'inspiration, frôler la perfection, effleurer le Génie ! Que faut-il préférer, vraiment ? Vivre sa pauvre petite vie d'homo sapiens bien conforme, sans but, sans sel, parce qu'on est trop faible pour se tenir à l'objectif ? Ou bien, presque par effraction, jouir à l'infini des extases d'un autre qui connaît sa quète, qui a déjà entamé sa croisade et qui d'avoir ainsi une fin ultime, cotoîe l'immortalité ?

    (...)

    Exaltation de l'enfance : combien d'années passons-nous à oublier cette passion que nous insufflions à toute activité qui nous promettait du plaisir ? De quel engagement total ne sommes-nous plus capables, de quelle liesse, de quelles envolées de lyrisme charmant ? Il y avait dans ces journées de bains tant d'exultation, tant de simplicité... Si vite remplacées, hélas, par la difficulté toujours plus grande d'avoir du plaisir...

    (...)

    Les mots : écrins qui recueillent une réalité esseulée et la métamorphosent en un moment d'anthologie, magiciens qui changent la face de la réalité en l'embellissant du droit de devenir mémorable, rangée dans la bibliothèque des souvenirs. Toute vie ne l'est que par l'osmose du mot et du fait où le premier enrobe le second de son habit de parade.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique