• Chanson d'ami


     

     

    J'ai convoqué l'arme ultime, j'ai appelé le secour de cette seule chose qui peut faire taire d'un seul coup le bruit du monde, la vie au dehors, l'appitoiement silencieux sur les tracas secondaires.

    Une fille se noie derrière l'écran lisse de la télévision. Elle se noie dans la cabine étanche d'un taxi qui se remplit d'eau. On entends à intervalle régulier le bruit du souffle qu'elle reprends, la bouche entrouverte hors de l'eau qui menace de la submerger.

    J'ai collé sur mes oreilles les chansons d'autrefois, les chansons de cette tristesse alors inconnue, qui résonnait, douce, incompréhensible, vaguement sombre. Mais loin, très loin du coeur.

    Il est à demi dehors, un pied à l'interieur, un pied sur le petit balcon triangulaire qui prolonge le salon. Entre deux bouffées de tabac, il jette son oeil vers l'écran. Je ne sais plus vraiment ce qu'il dit, un truc du genre " C'est jolie ça ! ", en regardant la fille qui chante encore un peu avant d'être aspirée par cette eau venue de nul part. Moi aussi je l'aime bien, cette chanson.

    A l'interieur du gilet de laine brun, je ferme les yeux. J'espere toujours y trouver une trace, une preuve que cette laine, un jour, a couverte ses épaules. Je regarde la fumée s'échapper de ma bouche, figée par la lumière en d'épaisses et blanches volutes. Et je pense au tableau accroché au mur, là-bas, au fond de la pièce, que je ne peux pas voir. Je le reconstitue de mémoire. Son visage penché, les yeux presque clos et cette expression à la fois douce et concentrée.

    Il porte ce peignoir hideux, rayé rouge et orange et vert. Le soleil s'écrase contre les murs. C'est juste une après-midi, comme ça, banale. Je suis sur le canapé et j'écoute une fille parler d'un homme qui lui en préfère une autre, je l'écoute chanter puis se noyer à l'arrière d'un taxi.

    L'image est nette. Dans ces moments-là, je me dis que je ne pourrai pas me lever demain, qu'il m'est impossible de respirer encore même une seule seconde dans un monde où il n'éxiste plus. Je me dis, ça sera toujours comme ça. Jusqu'à la fin de ma vie, ce sera toujours irrespirable. J'aurai toujours neuf ans et jamais en pensée je ne quitterai ce salon, où d'autres vivent aujourd'hui comme si c'était chez eux.

    Je serai à jamais assise sur ce canapé, et lui dans l'embrasure de la porte fenêtre, la cigarette au bord des lèvres. Il est six heures et demi, je fume une marlboro light et je me dis "A la tienne, Papa !"


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