• I want you down on your fuckin' knees.

     

    Je sentais impuissante se propager en moi un manque presque épidermique. En tournant au coin de la rue, mon point s'était serré autour du petit briquet de plastique blanc, mon bras s'était levé presque malgré moi, je lançais l'objet de toute mes forces, ne regardant même pas le sol où il vint exploser en un bruit qui me surprit par son étrange disproportion. Etait-ce moi ou ce truc minuscule s'était brisé contre le bitum presque en un bruit de coup de feux ? J'eus droit à un millième de seconde de soulagement avant que la pleine conscience vienne réhabiter mon corps. Les yeux baissés, rappelée à ma nature première de fille par la pensée que le noir de mes cils s'étalait maintenant en sillons foncés sur mes joues humides, je m'asseyais une seconde sur le banc. Sous les tilleuls, face à la grande statue toute occidée. A quelques mètres se tenait le café du coin de ma rue, avec ces quelques arbres devant la façade blanche. Comme chaque nuit, les lampadaires projetaient la silhouette hérissée des branches en ombres chinoises sur le mur, rappelant avec exactitude l'éclairage et les jeux de lumière d'une scène de théâtre. Devant les fenêtres éclairées du café, des gens aux contours indistincts discutaient semble-t-il avec légereté, comme le font tous ceux que l'on croise dans les rues sombres d'un début d'été, tous exhaltés par les beaux jours revenus et la promesse iminente de vacances méritées. Derrière mes paupières se jouait un tout autre scénario : j'avais seize ans et je me tenais assise en tailleur sur une table, dans cette roble bleue sous laquelle j'avais mis un jean ample. Sous la timidité se tenait, exacerbée, une fierté nouvelle. J'étais vue, j'étais écoutée. Le silence se faisait dans la salle alors que par dessus le son d'instruments, c'était mes mots que l'on chantait. Lorsque je rouvrai les yeux, plus rien ne subsistait de cette après-midi là, juste l'image encore fraîche des quelques heures qui venaient de s'écouler, à une terrasse, face à ces visages vieillis de trois années passées, pourtant toujours les mêmes. J'aurais tout fait à cet instant pour retrouver ce temps ne vivant plus qu'en images et sensations floues. J'aurais tout fait pour pouvoir être à nouveau sur cette table, commandant aux minutes qui s'écoulent de faire le chemin inverse chaque fois que je le voudrais. Et dans cette courte boucle je passerai ma vie entière. Dans cette courte boucle, il y aurait tout ce dont j'aurai à jamais besoin.

    (...)


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