• Je pars à la mer

    I am a sinking ship

    Le lugubre a fondu sur moi, animal à demi mort dans le désert urbain _ car la ville peut être un désert _ en proie à des charognards dont la forme demeurait toujours indistincte et changeante, je me suis retranchée, je suis devenue invisible au monde, intangible à ses habitants. De derrière les rideaux clos de mon appartement, j'ai regardé la nuit qui se laisse tomber sur les toits des immeubles à cinq heures en Décembre, j'ai regardé les branches nues et noires de l'arbre à la fenêtre, cherchant chaque jour les signes de leur renaissance, j'ai regardé les bourgeons grossir, se craqueler, j'ai regardé le soleil projeter sur les murs ses rayons, le mouvement des tâches de lumière m'a signifié l'avancement de la journée. J'ai voulu sortir voir ce que le beau temps apportait de gens bruyants aux terrasses des cafés, j'ai voulu me joindre à leurs rires. Et je n'ai plus pu. J'ai cru que la lumière du jour s'acharnait à me rendre laide. Je suis restée assise derrière les rideaux clos, j'ai acueilli comme une soeur chaque addiction facile qui me ferait oublier une seconde les murs qui se rapprochent et surtout oui, surtout, le dehors que j'aimais tant et que je ne pouvais plus atteindre. Je me suis mise à me taire, je suis sortie la nuit seulement, je suis rentrée à l'aube titubante et honteuse. Et puis je n'ai plus pu. J'ai repassé en détail derrière mes paupières fermées une vie entière, j'ai cherché la cassure. J'ai tenu des milliers de dialogues à demi schyzophréniques où je mettais en scène ceux devant qui je m'étais tu et ce que je n'avais jamais pu dire, avec pour seul auditoire la chambre vide. Je n'ai pas arrété un seul instant de penser à l'image trouble et absurde de ma vie vidée de ce qui en faisait la matière, la substance. Je suis restée là sans bouger, j'ai attendu.

    Je ferme les yeux, je respire et je rêve. Je pars à la mer. C'est l'été, la ville n'est pas trop grande, pas trop touristique. Je trouve un travail dans un petit café, dont la terrasse exigue touche presque le sable qui court se jeter dans l'eau bruyante. Je ne suis pas beaucoup payée mais les journées sont tranquilles. J'ai une petite chambre au dessus de la salle, chez les patrons. Je sers des cafés et des diabolos. J'ai une table dehors où je lis et fume un peu lorsqu'il n'y a rien à faire. Tout est très romanesque, il y a quelques habitués qui racontent toujours des histoires un peu tristes qui laissent sur les visages des sourires flous. Le soir je marche sur la plage puis je retourne dans ma chambre, je regarde des films avant de m'allonger sous la fenêtre, dans l'air parfumé. Tout est paisible et le temps ne veut rien dire. Il n'y a pas de passé, pas d'avant ni d'après, juste la lourdeur salée de l'été à la mer. Je peux parler avec les gens, je peux être seule. Je rêve, je pars à la mer dans cette ville sans nom, ce café sans nom, dans l'air rouge du crépuscule. Je n'ai pas de désir que celui du contact spontané avec ces autres qui vivent là, viennent passer le temps à la terrasse des cafés. Je suis vivante sans questions. Les visages familiers de ceux que j'aime tiennent une place silencieuse dans ma tête, ils ne sont pas là, ils me laissent en paix.

    Je ne me bats plus.

    Il tombera en pensant qu'il danse / Et que tant que tout tourne, tout va.

    Il n'aura ni remords, ni regrets / Ni personne quelque part pour l'attendre / Rien que le bonheur pris sur le fait / Sans lendemain pour le lui reprendre.

    Il ira, ira, ira, ira ...

    (Dominique A. - Hasta que el cuerpo aguante)


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