• Jules

    La silhouette des arbres s'arrachait difficilement du ciel noir. De derrière quelques feuilles recroquevillées et à intervalles irréguliers filtrait la lumière fantomatique d'un morceau de Lune, à peine découvert que déjà un amas de nuages sans couleurs engloutissait son éclat laiteux. "Pour combien de temps ?" se disait-il alors que ses yeux tremblaient sous un souffle de vent plus glacé qu'à l'ordinaire. Il nourrissait une sorte de curiosité étonnée pour ce bout de caillasse arride, travesti sous une lumière qui n'était pas la sienne, lumière d'un soleil éxhilé à l'autre bout du globe. Les hommes, pensait-il, lui prêtaient une douceur qui n'était pas la sienne et dessinaient sur sa surface une terre promise et offerte, une promesse. Etre cosmonaute, marcher sur la lune, chercher dans l'encre solide de la nuit des étoiles perdues. Il fallait finalement toujours être ailleurs, toujours marcher, avancer dans le temps en conquérant. Jamais l'homme n'avait voulu rester à sa place, suant d'un désir de fuire ce présent qui de toute façon ne lui appartiendrait jamais. Lui aussi voulait partir, lui non plus ne se souvenait guère d'un seul moment où l'ennui ne l'avait pas traqué comme une bête malade. Il se sentait empétré, englué dans une masse informe qu'il ne comprenait pas, qui lui fichait la nausée et qui le poussait inéxorablement vers un ailleurs qu'il espérait toujours salvateur. Je suis un homme, je marche vers l'horizon de ce monde, je cours hors de moi. Quand bien même les choses continuaient de glisser sous l'apparence annodine de simples journées que l'on remplit, il sentait sous sa peau comme un virus les morsures innombrables du temps et de la fuite. Quand bien même le premier pas vers une direction inconnue (qu'elle soit l'autre bout du monde ou le coin de la rue) lui arrachait encore quelques frissons fiévreux, il sentait l'évidence de la résignation comme les chiens flairent la peur. Il ne savait pas très bien ce que cette nuit avait de semblable avec toutes les autres mais toute chose alentour le ramenait dans une boucle floue dont il ne distinguait pas encore les contours, dont il pressentait seulement l'emprise. Toute chose le rappelait au vide, au vertige. Je tourne en rond.

    Comme il s'arrêtait sous couvert d'un arbre, la clarté subite qui s'étalait dans l'herbe immobile lui rappela la face blanchâtre de la lune. L'on distinguait maintenant autour d'elle un cercle de lumière translucide et lorsque quelques nuages passaientt près d'elle se déssinait une sorte d'arc-en-ciel circulaire et très pâle, dont les seules couleurs vraiment visibles étaient celles qui délimitaient le cercle. Une liseré fin de nuages rouges et oranges qui semblaient brûler une seconde avant de se fondre dans le noir, un anneaux de feux fait de fumée. Une chappe de plomb lui enserrait le corps, engourdi, indéci, il haïssait que ce qui l'entoure puisse être si beau, puisse séduire l'âme et la faire se pammer. Il haïssait la promesse qu'une nuit comme celle ci semblait vouloir lui offrir sur un plateau d'argent. Il haïssait le plaisir corrompu qui se tortillait à l'interieur, victorieux et l'étourdissait comme un enfant. Ces oublis spontanés de sa condition et de celle du monde entier autour de lui le mettait parfois dans une rage froide et implacable. Parce qu'il oubliait, oui, pour un instant lorsque les nuages se mettaient à brûler et que ce spectacle semblait n'appartenir qu'à lui. Il fallait marcher encore, passer la grande place sombre et s'engouffrer dans la rue encore plus sombre où il chercherait à taton la porte de l'immeuble. Il fallait qu'il rentre chez lui, vide, vide comme la ville, vide comme la nuit. C'était toujours le plus dur, rentrer et accepter l'immobilité jusqu'aux froides lueurs du jour. C'était quelque chose auquel il avait toujours eu du mal à se faire, qu'à la fin de la journée il ne reste plus rien que l'enveloppe vide d'un quelconque espoir et qu'il faille alors cesser de marcher, dans l'attente et l'ennuie.

    ...

    Ses yeux étaient voilés, l'eau bleue qui semblait les composer était devenue trouble et laissait deviner quelques sombres reflexion. Il ne voyait plus et son regard fixe ne laissait deviner la progression de sa pensée. Ou bien n'était-ce que de l'ennuie, l'ennuie de la veille qui s'était reveillé avant même que le jour ne se couche, peut-être n'y avait il derrière ses yeux là qu'un vide immense, loin de l'agitation fébrile de ces conversations qu'il avait parfois avec lui même, lorsque qu'une quelconque chose dans la rue faisait teinter son esprit d'une note familière. Aspiré, il disparaissait dans le tourbillon immobile de pensées en désordre. Le monde refermé sur lui-même lui était alors si indifférent qu'il aurait bien pu cramer jusqu'au dernier mêtre carré sans qu'il n'ait cillé une seule fois. Ses yeux ouverts vrillaient imperceptiblement vers l'interieur de son crâne, lui laissant pour seul paysage visible celui de son esprit, mouvant et incertain. La rue s'étirait de part et d'autre, les passants marchaient près de lui, quelques pupilles intriguées le fixaient un instant avant de s'évanouir dans le flot continu. C'était ce corps qui attirait le regard, ce corps immobile, comme statufié à un point que le clignement des yeux semblait presque incongru. Puis les yeux restèrent clos à peine plus longtemps qu'à leur habitude et lorsqu'il les rouvrit leur lueur habituelle se ralluma doucement. Il eu l'air en vie. Sa main bougea, il la regarda d'un air presque surpris, comme si lui revenait difficilement la sensation de son corps. Il regarda encore sa main plonger dans une poche de son pantalon et en tirer un petit paquet de carton lisse dont il tira une clope. A sa bouche, il l'alluma et garda longtemps la fumée qui soulevait doucement son torse. Il savait : à peine avait il repris conscience qu'il avait eu ce besoin de se remplir de quelque chose, de chasser le vide et la confusion. Lorsqu'il serait sûr que ses jambes répondent il faudrait se remettre à marcher. Il jeta un coup d'oeil autour de lui et remonta vite la rue, en s'attachant à ne rien regarder, déjà enfermé par le crépuscule qui descendait sur les vieux immeubles. La place, la rue, l'appartement. Le vide. La nuit et l'attente. Et l'ennuie. Alors qu'il marchait, il essayait de se souvenir comment il était arrivé sur ce banc, combien de temps avait passé dans cette parfaite inconscience de lui même. Ou bien même ce à quoi il avait bien pu pensé. Souvent il s'était heurté avec effroi à cette incapacité de ne penser à rien, à cet acharnement du cerveaux à toujours tourner de travers comme un disque rayé. Il s'était dit que l'on ne dormait pas parce que le corps se fatiguait mais parce que la nature avait offert généreusement la possibilité provisoire de ne plus s'écouter penser. Sur ce banc pourtant il avait perdu et oublié quelques heures de sa vie. Incompréhensible.

    Il ferma la porte derrière lui et se retrouva dans la pénombre. A ses pieds gisait un petit carré de papier blanc. Il le souleva pour découvrir une écriture familière :

    "Je te vois dans la rue et tu ne me reconnais même pas. Que fais-tu de tes nuits, Jules ?

    Dis quelque chose."

    La mot n'était pas signé. Il s'étonna de voir écrit ce prénom, son prénom. Son existence lui était revenue par vagues depuis qu'il avait quitté le banc et ces quelques lettres sur le papier semblaient mettre un point final à la reconstitution. Il était à nouveau là, se souvenant de tout, enfermé dans l'idée que l'on avait de lui, qu'il avait de lui-même. Définition complétée par cette écriture fine. Jules, son prénom.


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