• I.

    Petite, lorsque je dors chez mes grands parents, mon lit est placé sur une sorte de pallier, qui donne d'un côté sur la porte de l'escalier qui descends en bas, sur celui qui monte au grenier, et sur les trois petites marches qui mènent à l'atelier de mon grand père, de l'autre côté sur sa chambre. On me monte ici lorsque mes yeux se ferment, on me dit bonne nuit, chaque fois je demande qu'on laisse entrouverte la porte des escaliers, pour qu'un mince filet de lumière me parvienne. Douce ligne verticale et dorée, qui me rassure, m'appaise.

    Je suis seule dans le petit lit, des bruits étouffés me parviennent du rez de chaussée. Je pense. J'imagine. Souvent ce rêve eveillé me revient en tête :

    je me lève et j'ouvre la porte devant moi. Sur la gauche, je monte trois marches, j'ouvre la porte qui conduit habituellement vers les escaliers du grenier mais il n'y a plus d'escalier derrière cette porte. Un pièce toute autre se tient devant moi, elle existe pour moi seule et seulement lorsque la nuit est tombée. C'est une pièce carrée, sans fenêtres. Ni très grande, ni très petite. Le sol, les murs sont en bois, matière qui miroite sous la lumière vacillante de quelques bougies. Des rouges, des vertes, des oranges. Il y a cette odeur épaisse de cire qui fond, une atmosphère sereine, mysterieuse, presque mystique. C'est une pièce magique. Je sais qu'à l'interieur je pourrais tout faire. Il y a des livres aux couvertures anciennes, des coussins. Si je me concentre bien, je peux même entrevoir de petites créatures féériques dont je ne distingue pas vraiment la forme, dans le clair obscur de la pièce.

    Il y fait chaud et j'y suis bien. Je m'endors sur cette image rassurante, qui a la beauté du rêve et la netteté, la précision de la réalité. Je m'endors en me disant : "Demain soir, j'irai !"

    II.

    C'est l'hiver. La silhouette des arbres est brune et decharnée, presque comme si ils avaient brulés, et pourtant ça n'est que l'humidité, le froid qui leur donne cette couleur foncée et charbonneuse. Je suis dédoublée, actrice et spectatrice, j'observe mon corps en contrebas, je vole. Je vois avec précision mes vêtements : un pull rouge assorti au rubant noué dans mes cheveux, au dessus de ma tête : palmier de mèches brunes. Je grimpe sur un muret de pierre, qui ne délimite rien, qui ne ferme aucun espace, qui n'est qu'une ligne de pierre d'un mètre ou deux ou milieu du sol roux jonché de feuilles mortes. Je grimpe, accrochée à la main de mon père et mes bras fendent l'air alors que j'avance, m'imaginant sur un fil, équilibriste au dessus de la foule. Il marche à côté du muret, gardant ma petite main dans la sienne.

    Je crois qu'il porte un manteau rouge lui aussi, je ne sais plus vraiment.

    Arrivée à la fin du muret je saute puis nous continuons dans cette forêt d'hiver, glacée, grise, brune et rousse. Il y a une porte, là devant, une porte assez simple, posée là et fermée, qui semble ne donner nul part, ou du moins pas vers un autre endroit que celui où nous cheminons déjà. Mais là où il ne semblait rien y avoir, se trouve un couloir, exigue, sans fenêtres, sous une lumière criarde et jaunatre, de vieille ampoule sur un vieu mur qui devait ête blanc, avant. Mosaïque au sol, petits carrés bruns ourlés de noir.

    Une autre porte au fond du couloir. Nous sortons dans la verdure, dans l'été, sous des tilleuls gigantesques dont les feuilles énormes révèlent quelques morceaux de ciel bleu vif. Une odeur de chaleur, de sable, de feuilles brulantes qui embaument l'air.

    Puis plus rien. Noir.

    Je n'ai jamais bien su d'où provenaient ces images, elles aussi semblent si précises pour n'être qu'un rêve. Et pourtant je suis sure qu'elles ne sont pas réelles. Elles restent là, tatouées, claires, comme une photo d'enfance d'heureuse et insouciante. Comme une photo de promenade de dimanche. Moi, mon père, la forêt. Les pains aux raisins que nous devorions dans la chaleur retrouvée de la voiture, sous le ciel bleu gris du soir qui se couche. A cinq heures.

    Il aimait la forêt mon père, c'est ce qu'il préferait.


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