•  La nuit s'étire alors que mes obligations devraient m'enmener jusqu'au lit. La nuit s'étire dans le silence et l'apaisement, dans l'avidité de se souvenir des choses et de les écrire. Dans l'avidité des émotions qu'on rappelle à la vie dans la pénombre de la pièce.

    Je suis preparée. Depuis une semaine, j'y pense. Je me suis mise dans le personnage, je deviens le stéréotype, je m'imprègne du cliché que je me suis modestement fixée la tache d'incarner. C'est un jeux auquel j'éxcèle, c'est même mon préféré. Demain je monterai la petite côte qui amène vers le côté du bâtiment avec l'excitation confuse de quelqu'un qui rentre en scène. Et le trouble, brutal, que je prendrai contre moi comme un allié, comme un frère. J'y pense, oui, depuis une semaine.

    J'espererais, en montant, le trouver là entre les colonnes, devant les portes, tenant entre ces doigts une cigarette.

    Et ca pourra commencer. Tout sera là entre mes mains. Je me mettrai en scène, pas pour lui, pas pour les autres, mais pour moi seulement. Pour mon vertige devant cette beauté aristocratique et peu desuette, ce visage fin et ce nez appuyé. Ces yeux ... Ca en est presque ridicule, qu'un homme soit aussi beau dans un costume noir.

    Je souris d'être à ce point égale à moi même. Rêve, Louise. Rêve. S'il n'y a que ça à faire. Quel plaisir se déssine déjà en moi comme une image que l'on reconstitue en fermant les yeux, quel vertige de cette anticipation du ressenti.

    Je prendrai dans la salle la même place qu'avant, au milieu, là d'où je verrai le mieu. Juste devant lui, juste à portée de main, dans la pénombre des volés baissés pour mieu distinguer l'image projetée sur le grand tableau blanc en contrebas. Dans l'intimité rassurante d'une lumière faible, comme dans un cinéma, où l'on se sait entouré sans vraiment distinguer qui que ce soit. Sauf lui, devant moi. Sauf cette contemplation des choses qui devrait arréter le temps et le faire tourner en boucle sur la perfection de sa voix qui explique.

    Comment ai-je pu attendre tout l'été ?


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  • Mes yeux. La sensation s'est presque dissipée, cette sensation qu'un poids invisible les entraine de toutes sa force. Jusqu'à ce qu'ils ne soient plus qu'une simple fente. Jusqu'à qu'ils se ferment enfin. Mes yeux, je ne les sens plus. Je sais qu'ils sont là mais je ne le sens plus.

    J'ai marché vite pour rentrer et la ville était belle. Froide, blanche, haute. L'air froid caressait mes épaules sans me transpercer. Rien n'était différent, les choses coulaient sans se soucier de rien. La lumière tombait sur les arbres, pâle, glacée et pourtant douce. Une fin d'après midi d'Automne.

    Rien n'était différent mais mes yeux posaient sur cette ville un regard neuf. Des yeux avides. Des yeux avide de cette ville qui bouge, vit, de ces gens qui marchent. Leur visages. Leurs manteaux fermés. Leur air de faire quelque chose sans trop y penser.

    J'aurai pu marcher des heures. Des heures entières dans le froid, des heures entières immergée dans cette vie autour de moi, dans ce mouvement des choses. Comme ça, pour rien, juste pour être là. Juste pour contempler. J'aurai pu.

    Juste pour la beauté confuse de ce qui se jouait sous mes yeux. Le monde, nu, incompréhensible et beau.

    Je crois que je voyais les choses de cette façon quand j'étais petite, je crois que ça n'était pas juste une affaire de perception un peu brouillée, un moment parmis d'autres où il est possible d'entrevoir ce qui m'entoure de cette façon crue et curieuse, harmonieuse. Je crois que c'était comme cela tout le temps.

    Je suis rentrée sereine, apaisée, vivifiée par le vent, remplie de choses inestimables que je ne saurai même pas expliquer.

    Mes sensations reviennent à la normale, doucement. Je retrouve mes yeux aveugles alors que le goût epais de la fumée s'efface de ma bouche


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  • Je penche un peu les yeux vers le vide, et je ne vois que le bout de sa guitare, espace epargné par le morceau de plexiglas qui recouvre sa porte, juste en dessous de ma fenêtre. Il joue, je prie qu'il ne s'arrète jamais. Il joue dans l'air du début d'après-midi, face à ce petit carré de verdure qui est son jardin. La musique rend beau, qui qu'il soit il est beau parce qu'il joue, là, tout près, sous les arbres, dans le soleil.

    Le son d'une guitare me manque, une voix me manque.

    Et lui, d'en bas, entend-il mes doigts sur le clavier sans se douter une seconde que c'est à lui que je destine quelques mots ? Que voit-il, qu'imagine-t-il de moi ? Il s'est arrété. Je veux qu'il continue.


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    L'homme, seul. Poseur.

    Ce que je recouvre est un néant vivant
    Ca m'échappe...

    Je suis tout un manque...

    Je suis un manque vivant...


    o0o


    L'homme_ J'ai un peu moins de plaisir que d'habitude... Ca baisse, graduellement...
    Un peu, à tous les niveaux...
    J'aime de moins en moins ce que je mange...
    J'aime de moins en moins ce que je fais...
    Ce que je lis
    Ce que je porte
    Ce que j'entends...

    Fée 1_ Ca va passer


    o0o

    Une fée, seule

    Demain...
    Demain j'apprendrai que tu es morte et ce sera tout comme
    Demain, j'apprendrai que j'ai raté ma vie dans des flashs d'informations...
    Et c'est tout comme...
    Rien est définitif
    Il n'y a pas d'affirmation
    Ou sinon celle qu' "il n'y a pas d'affirmation"
    Parfum de sophistique absolue...
    Le monde n'est pas bâti sur un roc
    Mais sur une sorte de marécage
    Contraint de s'enfoncer un peu plus dès qu'il veut rester stable...
    Quand la chose arrivera, je le sens bien,
    J'aurais à peine le temps de dire :
    "ça y est, ça nous tombe dessus..."
    "on est bons"
    Un genre de Tchernobyl supérieur...
    Un truc colossal...
    Le World Trade Center, on peut dire...
    C'était du hors-d'oeuvre...
    C'est à la fois terrifiant et beau...
    C'est tellement la mort, et c'est tellement destructeur
    Que ça évoque aussi un peu
    La vie
    En quelque sorte : la naissance
    Un commencement radical de quelque chose
    C'est peut-être pas si mal...
    C'est beau quelque chose qui craque...
    Quelque chose qui s'ouvre...
    Et de voir tout ce qui est à l'intérieur
    Se répandre...
    Dans des milliers de reflets et de flashs aveuglants...
    Une chaleur, comme il y en a jamais eu
    Une odeur, comme il y en a jamais eu...
    Du mouvement
    Comme il y en a jamais eu...
    De la cendre
    Et du soufre...
    Des particules dans l'air
    Et des milliards d'étincelles...
    Comme la beauté d'un volcan...
    Une immense voûte de fumée
    Une flamme
    De plusieurs kilomètres

    (...)


     

    Texte : Ronan Chéneau
    Mise en scène : David Bobée
    Acteurs : Fanny catel-Chanet / Abigail Green / James Joint

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    Je ne supporte pas de la voir ainsi. J'aime ma femme, comme j'ai toujours aimé les beaux objets de ma vie. C'est ainsi. En propriétaire j'ai vécu, en propriétaire je mourrai, sans états d'âmes ni goût pour la sentimentalité, sans remords aucun d'avoir ainsi accumulé les biens, conquis les âmes et les êtres comme on acquiert un tableau de prix. Les oeuvres d'art ont une âme. Peut-être est-ce parce que je sais qu'on ne peut les réduire à une simple vie minérale, aux éléments sans vie qui les composent, que je n'ai jamais éprouvé la moindre honte à considérer Anna comme la plus belle de toutes, elle qui, quarante ans durant, a egayé de sa beauté ciselée et de sa tendresse digne les pièces de mon royaume

    (...)

    Vivre par procuration : faire naître les chefs, en être le fossoyeur, de la ripaille extraire des mots, des phrases, des symphonies de langage, et accoucher les repas de leur beauté fulgurante ; être un Maître, être un Guide, être une Divinité ; toucher de l'esprit des shpères inaccessibles, pénétrer, en tapinois, dans les labyrinthes de l'inspiration, frôler la perfection, effleurer le Génie ! Que faut-il préférer, vraiment ? Vivre sa pauvre petite vie d'homo sapiens bien conforme, sans but, sans sel, parce qu'on est trop faible pour se tenir à l'objectif ? Ou bien, presque par effraction, jouir à l'infini des extases d'un autre qui connaît sa quète, qui a déjà entamé sa croisade et qui d'avoir ainsi une fin ultime, cotoîe l'immortalité ?

    (...)

    Exaltation de l'enfance : combien d'années passons-nous à oublier cette passion que nous insufflions à toute activité qui nous promettait du plaisir ? De quel engagement total ne sommes-nous plus capables, de quelle liesse, de quelles envolées de lyrisme charmant ? Il y avait dans ces journées de bains tant d'exultation, tant de simplicité... Si vite remplacées, hélas, par la difficulté toujours plus grande d'avoir du plaisir...

    (...)

    Les mots : écrins qui recueillent une réalité esseulée et la métamorphosent en un moment d'anthologie, magiciens qui changent la face de la réalité en l'embellissant du droit de devenir mémorable, rangée dans la bibliothèque des souvenirs. Toute vie ne l'est que par l'osmose du mot et du fait où le premier enrobe le second de son habit de parade.


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