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    J'aimais tant le ciel d'hiver, un ciel étroit, noir de pluie, qui se poussait contre les vitres, comme un visage ridicule et touchant. Ce soleil-ci n'est pas ridicule, bien au contraire. sur tout ce que j'aime, sur la rouille du chantier, sur les planches pourries de la palissade, il tombe une lumière avare et raisonnable, semblable au regard qu'on jette, après une nuit sans sommeil, sur les décisions qu'on a prises d'enthousiasme la veille, sur les pages qu'on a écrites sans ratures et d'un seul jet.

    (...)

    Au mur, il y a un trou blanc, la glace. C'est un piège. Je sais que je vais m'y laisser prendre. Ça y est. La chose grise vient d'apparaître dans la glace. Je m'approche et je la regarde, je ne peux plus m'en aller. C'est le reflet de mon visage. Souvent, dans ces journées perdues, je reste à le contempler. Je n'y comprends rien, à ce visage. Ceux des autres ont un sens. Pas le mien. Je ne peux même pas décider s'il est beau ou laid. Je pense qu'il est laid, parce qu'on me l'a dit. Mais cela ne me frappe pas. Au fond je suis même choqué qu'on puisse lui attribuer des qualités de ce genre, comme si on appelait beau ou laid un morceau de terre ou bien un bloc de rocher.

    (...)

    En même temps la durée de la musique se dilatait, s'enflait comme une trombe. Elle emplissait la salle de sa transparence métallique, en écrasant contre les murs notre temps misérable. Je suis dans la musique. Dans les glaces roulent des globes de feu; des anneaux de fumée les encerclent et tournent, voilant et dévoilant le dur sourire de la lumière. mon verre de bière s'est rapetissé, il se tasse sur la table : il a l'air dense, indispensable.

    (...)

    Le disque s'est arrêté. La nuit est entrée, doucereuse, hésitante. On ne la voit pas, mais elle est là, elle voile les lampes ; on respire dans l'air quelque chose d'épais : c'est elle. Il fait froid.

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