• .

    Certaines personnes sont incapables de saisir dans ce qu'elles contemplent ce qui en fait la vie et le souffle intrinsèques et passent une existence entière à discourir sur les hommes comme s'il s'était agi d'automates et sur les choses comme si elles n'avaient point d'âme et se résumaient à ce qui peut être dit, au gré des inspirations subjectives.


    (...)


    J'étais sincère. Je m'étais depuis longtemps accoutumée à la perspective d'une vie solitaire. Etre pauvre, laide et, de surcroît, intelligente, condamne, dans nos sociétés, à des parcours sombres et désabusés auxquels il vaut mieux s'habituer de bonne heure. A la beauté, on pardonne tout, même la vulgarité. L'intelligence ne paraît plus une juste compensation des choses, comme un rééquilibrage que la nature offre aux moins favorisés de ses enfants, mais un jouet superfétatoire qui rehausse la valeur du joyau. La laideur, elle, est toujours déjà coupable et j'étais vouée à ce destin tragique avec d'autant plus de douleur que je n'étais point bête.


    (...)


    On croit à tort que l'éveil de la conscience coïncide avec l'heure de notre première naissance, peut-être parce que nous ne savons pas imaginer d'autre état vivant que celui-là. Il nous semble que nous avons toujours vu et senti et, forts de cette croyance, nous identifions dans la venue au monde l'instant décisif où naît la conscience. Que, pendant cinq années, une petite fille prénommée Renée, mécanisme perceptif opérationnel doué de vision, d'audition, d'olfaction, de goût et de tact, ait pu vivre dans la parfaite inconscience d'elle-même et de l'univers, est un démenti à cette théorie hâtive.

    .


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique