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    -Montre moi tes vêtements.
    -Pardon ?
    -Ouvre ton armoire !
    Abasourdie, je m'exécutai. Christa se leva d'un bond pour venir regarder.
    Au terme de son examen, elle dit :
    -Tu n'as qu'un truc bien.
    Elle attrapa ma seule tenue élégante, une robe chinoise près du corps. Sous mes yeux ébahis, elle envoya promener son tee-shirt, son jean et ses chaussures.
    -La robe est moulante, dit-elle en l'observant. J'enlève aussi ma culotte.
    Et elle fut nue comme un ver devant moi.
    Elle enfila la robe et se regarda dans le grand miroir. Cela lui allait bien. Elle s'admira.
    -Je me demande comment elle te va.
    Ce que je redoutais se produisit. elle retira la robe et me la jeta :
    -Mets-la !
    Je restai immobile, interdite.
    -Mets-la, je te dis !
    Je ne parvenais pas à produire un son

    (...)

    -Allez, quoi, tu es bête ! Déshabille-toi !
    -Non.
    Ce "non" fut pour moi une victoire.

    (...)

    Elle se jeta sur moi en riant. Je me roulai en boule sur le lit pliant. Elle arracha mes chaussures, déboutonna mon jean avec une habileté stupéfiante, tira dessus et en profita pour enlever ma culotte au passage. Heureusement, mon tee-shirt était long et me couvrait jusqu'à mi-cuisse.
    Je hurlai.

    (...)

    J'avais seize ans. Je ne possédais rien, ni biens matériels ni confort spirituel. Je n'avais pas d'ami, pas d'amour, je n'avais rien vécu. Je n'avais pas d'idée, je n'étais pas sûre d'avoir une âme. Mon corps, c'était tout ce que j'avais.

    A six ans, se déshabiller n'est rien. A vingt-six ans, se déshabiller est déjà une vieille habitude.
    A seize ans, se déshabiller est un acte d'une violence insensée.
    "Pourquoi me demandes-tu ça, Christa ? Sais-tu ce que c'est, pour moi ? L'éxigerais-tu, si tu le savais ? Est-ce précisément parce que tu le sais que tu l'éxiges ?
    Je ne comprends pas pourquoi je t'obéis."

    Seize années de solitude, de haine de soi, de peurs informulables, de désirs à jamais inassouvis, de douleures inutiles, de colères inabouties et d'énergie inexploitée étaient contenues dans ce corps.
    Les corps ont trois possibilités de beauté : la force, la grâce et la plénitude. Certains corps miraculeux parviennent à réunir les trois. A l'opposé, le mien ne possédait pas une once de ces trois merveilles. Le manque était sa langue maternelle : il exprimait l'absence de force, l'absence de grâce et l'absence de plénitude. Il ressemblait à un hurlement de faim.
    Au moins ce corps jamais montré au soleil portait-il bien son prénom : blanche était cette chose chétive, blanche comme l'arme du même nom, mais mal affûtée - La partie tranchante tournée vers l'interieur.

    (...)

    -Je t'ai rendu service, dit-elle. Maintenant, tu n'auras plus de problèmes avec la nudité.
    Je pensai que, dans l'intérêt général, j'allais essayer de croire à cette version de ce moment atroce. Je savais déjà que je n'y parviendrai pas : quand nous étions nues, côte à côte, face au miroir, j'avais trop senti la jubilation de Christa - jubilation de m'humilier, jubilation de sa domination, jubilation, surtout, d'observer ma souffrance à être déshabillée, détresse qu'elle respirait par les pores de sa peau et dont elle tirait une jouissance vivisectrice.

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