• Heure d'affluence au pavillon des pensées. Silence sur la page. Que crois-tu qu'on puisse écrire quand on est vide ?
    Tellement vide quon se sent engourdi par le vent, retourné comme une poche à l'envers de laquelle on chasse quelques miettes de tabac, poussière, papier déchiré, sable. Vestiges.
    Intérieur peuplé de fantômes triste à la chair éclatée, crevassée. Esthétique tragique.
    Même ça, c'est pour te dire, c'est encore trop grand pour décrire. Ca fait partie de tous ces mots qui paraissent tellement immenses qu'on est sûr qu'aucun de nos sentiments, émotions, bric à brac de sensations et d'impressions ne pourront jamais les remplir tout à fait.
    Vide ? C'est faux. Parce que vide ce serait beau, entier et pourtant indolore. Je ne suis pas vide, je ne suis pas une poche retournée, je garde pour moi toutes les poussières inutiles qui remplissent sans contenter. Poussières grises de jours gris. Le vide, ce serait le tourbillon.
    Je suis remplie de l'inutile et vide de l'essentiel. Je n'ose plus croire.

    Oh sensation. Sin, slave of sensation.

    (Biscuit _ Portishead)


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  • Des salles silencieuses où les pas de celui qui s'avance sont absorbés par les tapis si lourds, si épais, qu'aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille, comme si l'oreille elle-même était très loin, très loin de celui qui s'avance une fois de plus le long de ces couloirs, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d'un autre siècle, cet hotel immense, luxueux, baroque, lugubre. Où des couloirs interminables succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés d'un décor sombre fait de boiseries, de stuc, de panneaux moulurés, marbre, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés de portes, enfilade de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés de l'ornementation d'un autre siècle...

    Des salles silencieuses où les pas de celui qui s'avance sont absorbés par les tapis si lourds, si épais qu'aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille, comme si l'oreille elle-même était très loin. Très loin du sol, du tapis, très loin de ces décors lourds et vides, très loin de cette frise compliquée qui court sur le plafond, avec ses rameaux et ses guirlandes comme des feuillages anciens. Comme si le sol était encore de sable et de graviers, de dalles de pierre, sur lesquelles je m'avançais une fois de plus, comme à votre rencontre, entre ces murs chargés de boiseries, de stuc, de moulures, de tableaux, de gravures encadrées parmi lesquelles je m'avançais, parmi lesquelles j'étais déjà moi-même en train de vous attendre, très loin de ce décor où je me trouve maintenant devant vous en train d'attendre encore celui qui ne
    viendra plus désormais, qui ne risque plus de venir, de nous séparer de nouveau, de vous arracher à moi.

     

    Hypnotique, angoissant, étrange, appartenant et à la fois séparé de la réalité, comme le rêve, la construction des souvenirs, comme l'imagination qui créé des images sur ses souvenirs. La répétition des phrases hypnotise, on ne sait jamais très bien de quel temps vient la voix, de quelle scène source partent les flashbacks. On ne sait plus où on est.

     


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  • Le bruit et l'odeur de la nuit. Contemplation sans pensées. Musique du noir. A la fenêtre tout se tait, les feuilles se balancent mollement sous un vent qu'on ne sent pas. Mélancolie et beauté inextricables. Lune dorée pour mon ivresse. Je tremble de l'harmonie magistrale, inexplicable. J'entrevois des mondes lointains, des histoires amères qui flottent au dessus des touches du piano, des mots que l'on ne voit que dans les livres, vestiges d'avant, des mots que l'on poserait sur cette atmosphère étrange. Des images floues, rêveries de derrière les fenêtres immenses, les rideaux épais. La sensation était-elle différente à cette époque la ? Je suis de tous les temps, je ne compte pas devant la trace vibrante des temps d'avant. Je me sens humaine parmis les humains. Cinq heures trente deux, où sont ceux qui ne dorment pas ? Ceux que la nuit transforme, ceux qui voient l'aube sans avoir dormi ?



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  • I am a sinking ship

    Le lugubre a fondu sur moi, animal à demi mort dans le désert urbain _ car la ville peut être un désert _ en proie à des charognards dont la forme demeurait toujours indistincte et changeante, je me suis retranchée, je suis devenue invisible au monde, intangible à ses habitants. De derrière les rideaux clos de mon appartement, j'ai regardé la nuit qui se laisse tomber sur les toits des immeubles à cinq heures en Décembre, j'ai regardé les branches nues et noires de l'arbre à la fenêtre, cherchant chaque jour les signes de leur renaissance, j'ai regardé les bourgeons grossir, se craqueler, j'ai regardé le soleil projeter sur les murs ses rayons, le mouvement des tâches de lumière m'a signifié l'avancement de la journée. J'ai voulu sortir voir ce que le beau temps apportait de gens bruyants aux terrasses des cafés, j'ai voulu me joindre à leurs rires. Et je n'ai plus pu. J'ai cru que la lumière du jour s'acharnait à me rendre laide. Je suis restée assise derrière les rideaux clos, j'ai acueilli comme une soeur chaque addiction facile qui me ferait oublier une seconde les murs qui se rapprochent et surtout oui, surtout, le dehors que j'aimais tant et que je ne pouvais plus atteindre. Je me suis mise à me taire, je suis sortie la nuit seulement, je suis rentrée à l'aube titubante et honteuse. Et puis je n'ai plus pu. J'ai repassé en détail derrière mes paupières fermées une vie entière, j'ai cherché la cassure. J'ai tenu des milliers de dialogues à demi schyzophréniques où je mettais en scène ceux devant qui je m'étais tu et ce que je n'avais jamais pu dire, avec pour seul auditoire la chambre vide. Je n'ai pas arrété un seul instant de penser à l'image trouble et absurde de ma vie vidée de ce qui en faisait la matière, la substance. Je suis restée là sans bouger, j'ai attendu.

    Je ferme les yeux, je respire et je rêve. Je pars à la mer. C'est l'été, la ville n'est pas trop grande, pas trop touristique. Je trouve un travail dans un petit café, dont la terrasse exigue touche presque le sable qui court se jeter dans l'eau bruyante. Je ne suis pas beaucoup payée mais les journées sont tranquilles. J'ai une petite chambre au dessus de la salle, chez les patrons. Je sers des cafés et des diabolos. J'ai une table dehors où je lis et fume un peu lorsqu'il n'y a rien à faire. Tout est très romanesque, il y a quelques habitués qui racontent toujours des histoires un peu tristes qui laissent sur les visages des sourires flous. Le soir je marche sur la plage puis je retourne dans ma chambre, je regarde des films avant de m'allonger sous la fenêtre, dans l'air parfumé. Tout est paisible et le temps ne veut rien dire. Il n'y a pas de passé, pas d'avant ni d'après, juste la lourdeur salée de l'été à la mer. Je peux parler avec les gens, je peux être seule. Je rêve, je pars à la mer dans cette ville sans nom, ce café sans nom, dans l'air rouge du crépuscule. Je n'ai pas de désir que celui du contact spontané avec ces autres qui vivent là, viennent passer le temps à la terrasse des cafés. Je suis vivante sans questions. Les visages familiers de ceux que j'aime tiennent une place silencieuse dans ma tête, ils ne sont pas là, ils me laissent en paix.

    Je ne me bats plus.

    Il tombera en pensant qu'il danse / Et que tant que tout tourne, tout va.

    Il n'aura ni remords, ni regrets / Ni personne quelque part pour l'attendre / Rien que le bonheur pris sur le fait / Sans lendemain pour le lui reprendre.

    Il ira, ira, ira, ira ...

    (Dominique A. - Hasta que el cuerpo aguante)


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  • Il me fait de ces yeux. Un pétillement qui pourrait ne rien valoir de plus mais qui me dit de le suivre en haut. Il dit "Viens fumer" et je dis oui, je promet que la nuit ne s'arrête pas là et aux autres, que je vais redescendre. Je monte en me disant, un pétillement et on ira jusqu'ou on ira. L'alcool me fait chavirer sur le lit, il se déshabille en me regardant, avec nonchalance, comme si ça ne voulait rien dire. Un geste, le premier, je sais bien. Je dis "On le roule, ce pétard", je me redresse sur le lit face à lui qui s'est assis, nu, je le regarde prendre les feuilles et éventrer une clope, saisir le briquet sur le bureau encombré. On ne se touche pas, il regarde son sexe avec un faux air de reproche, vilain désir qu'il fait semblant de vouloir cacher. Puis il veut que je sois son égal, il se penche sur mon T-shirt que, vaincue, je l'aide à enlever. Tout est sur le fil. Je ne savais pas, je n'aurais jamais cru que je pourrais être presque nue, là, les yeux dans les siens et ce calme, comme juste à ce moment rien ne subsiste des mensonges et des jeux. La nuit flotte dans ces quelques minutes où on se passe le joint en silence. Je flotte dans une vérité première des choses où il n'y a de complications que dans le jour qui se lèvera dans quelques heures. Je le regarde encore, il dit "Quoi ?", je dis "Rien". Il écrase le mégot noirci dans le cendrier et nous nous allongeons. Les mains jouent leur manège, je proteste en me laissant faire, il veut s'arrêter tout en continuant. Stop. Il ne sera jamais à moi et dés qu'il fera jour, il oubliera à force de culpabilité. Je reste dans ses bras, je ne dors pas, je penche la tête anxieusement vers la petite fenêtre, je guette le jour, la peinture du plafond change lentement de couleur pendant que je rassemble mon courage. Je dis alors qu'il se retourne vers moi avec des yeux endormis "Eh mec, j'y vais", il ne pose pas de questions. Il est tôt, soleil, je monte dans le tramway rempli de gens réveillés, qui parlent, pensent, vont quelque part, moi je retourne dormir seule. Je ne peux pas décider, où est l'erreur, avoir eu mes mains sur lui pendant un moment ou ne plus l'avoir touché du reste de la nuit. Il faut que je dorme, longtemps, que je me désintègre dans les images distordues d'un quelconque rêve.

     [High times / Elliott Smith]

    Said I don't go where I'm supposed to go / And I don't go really anywhere you know


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